Chapitre 12
Je ne sais pendant combien de temps je dormis véritablement, mais il me sembla avoir fermé les yeux à peine quelques minutes avant de les ouvrir et de me retrouver dans la chambre imaginaire de Lugh. La nuit précédente, j’avais espéré que Lugh m’apparaîtrait dans mon sommeil et il ne l’avait pas fait. Ce soir, je ne désirais rien d’autre que l’oubli et voilà qu’il débarquait. Quel fichu esprit de contradiction !
Je souhaitais malgré tout lui parler de son inhabituel silence. Mais la migraine et la nausée qui découlaient du changement de contrôle de mon corps m’avaient suivie jusque dans mes rêves. Ce n’était pas non plus bon signe que je me réveille dans le lit de Lugh.
J’étais allongée sur le dos, les yeux levés vers un plafond couleur crème. Ma tête reposait sur un oreiller moelleux et le drap qui caressait mon corps avait la douceur voluptueuse de la soie pure. Le lit était merveilleusement confortable, mais je ne pus m’empêcher de remarquer qu’une bonne partie de ma peau était en contact avec le tissu soyeux. À savoir quasiment chaque centimètre carré. Je devais donc être nue.
Près du lit, une ombre planait dans l’obscurité uniquement percée par la lueur d’une bougie, mais je refusais de me tourner vers elle. Je savais de qui il s’agissait et la chambre associée au drap de soie et à ma nudité en disait long sur les idées de Lugh cette nuit-là.
Le lit s’affaissa sous le poids de Lugh. Devinant qu’il s’apprêtait à se pencher sur moi pour m’obliger à le regarder, je fermai les yeux. Je ne voulais pas voir ce qu’il portait – ou ce qu’il ne portait pas, ce qui pouvait bien être le cas.
— Laisse-moi dormir, dis-je, d’une voix irritable qui n’était pas à mon avantage.
Lugh s’esclaffa, un son si chaleureux que je me sentis rougir.
— Tu es en train de dormir, me rappela-t-il.
Mes yeux clos ne m’empêchaient pas de sentir sa présence, sa proximité. Son souffle, légèrement parfumé au café et à la cannelle, caressa mon visage. Je sais, il ne respirait pas vraiment et son souffle n’avait pas vraiment d’odeur. Il avait juste imaginé que l’odeur de café et de cannelle serait appétissante et il l’avait créée pour me faire plaisir.
Je le sentis bouger sur le lit, près de moi, puis je perçus le chuintement soyeux de ses cheveux quand il les détacha. Quelques mèches effleurèrent ma poitrine, juste à l’endroit où le drap de soie s’arrêtait. Mes mamelons se durcirent et le désir s’alluma dans mon bas-ventre en dépit de tous mes efforts pour l’étouffer.
Est-ce que je parviendrais à mieux le repousser en ouvrant les yeux ou en les gardant fermés ? Je me sentais un peu stupide allongée, les paupières closes, comme s’il était une sorte de monstre caché sous le lit que je parviendrais à faire disparaître. Mais si j’ouvrais les yeux… Lugh savait exactement comment je fonctionnais – d’ailleurs probablement mieux que moi – et il se pourrait qu’en ajoutant un élément visuel, je sois tentée de faire quelque chose que je regretterais ensuite. Je les gardai donc fermés malgré l’impression d’être ridicule.
— Tu as fini avec tes petites manipulations psychologiques ? lançai-je.
Je voulais essayer de m’asseoir, mais j’avais la conviction que, si je tentais ma chance, je finirais dans ses bras. De plus, les draps de soie ont tendance à glisser et il serait difficile de garder celui-ci sur mon intimité si je me redressais.
Il éclata de nouveau de rire, provoquant une vague de chair de poule sur ma peau.
— Tu crois vraiment que c’est ce dont il s’agit ? demanda-t-il, l’air terriblement amusé.
Le lit bougea de nouveau sous son poids et soudain je sentis le contact de sa peau nue contre ma hanche.
J’ai beau être une femme cool et moderne, je laissai échapper un petit jappement de surprise et je m’écartai. Ouvrant d’un coup les yeux, j’essayai de m’asseoir en serrant le drap contre ma poitrine.
Lugh était allongé sur le côté près de moi, sous le drap de soie écarlate. Bon, une partie de son corps se trouvait sous le drap. Il aurait suffi qu’il remue d’un rien – ou que je remonte davantage le drap afin de couvrir mes seins – pour dévoiler une partie de son anatomie que je ne désirais pas voir. Ou du moins, une partie que je ne désirais pas désirer voir.
Il avait la tête appuyée sur sa main. Ses cheveux retombaient sur son torse et ses épaules comme une cape noire brillante tandis que ses lèvres sensuelles étaient retroussées aux commissures en un sourire subtil. Sa peau était dorée sur ses muscles bien dessinés sans être trop saillants.
Il n’aurait rien pu faire de plus pour paraître davantage sexy. Ce n’était vraiment pas juste !
Lugh tapota le lit près de lui de sa main libre.
— Pas besoin de bouger à cause de moi, dit-il d’une voix basse qui me mit sens dessus dessous.
J’ai toujours été attirée par les hommes à la voix grave. Mais bien sûr, Lugh le savait – il était au courant depuis la première fois qu’il s’était adressé à moi dans mes rêves.
— Arrête ça ! dis-je, à bout de souffle.
Je ne me trouvais pas très convaincante, alors que devait penser Lugh ! Il s’assit à son tour. Le drap de soie glissa probablement mais je ne vis rien, parce que avant même que j’aie le temps de deviner ce qu’il tramait, il m’avait fait rouler sous lui. Le mouvement aurait dû nous faire basculer du lit, mais je suppose que ce n’était pas ce que Lugh voulait, donc cela ne se passa pas ainsi.
Les deux mains sur son torse, je m’efforçai vainement de le repousser, mais je doute que j’en aurais été capable dans la réalité et encore moins dans un rêve qu’il contrôlait.
— Bon sang, mais qu’est-ce que tu fiches ? grondai-je.
Il avait déjà été entreprenant avec moi par le passé, mais jamais rien de tel. Je ponctuai ma question de coups de poing sur sa poitrine qui n’avaient aucune chance de lui faire mal.
À ma grande surprise, Lugh se redressa un peu – suffisamment pour me saisir par les poignets et les rassembler dans une de ses grandes mains avant de les clouer au-dessus de ma tête. J’étais trop abasourdie pour me défendre. J’ouvris grand la bouche et mon cœur sembla tout d’un coup cogner dans ma gorge.
Lugh pencha son visage vers moi et je compris qu’il avait l’intention de m’embrasser. Je détournai aussitôt la tête.
— Tu ne sais pas ce que « non » signifie ? demandai-je.
Je n’aurais su dire ce que j’éprouvais. J’aurais dû me sentir impuissante et effrayée, peut-être même trahie. Il pouvait contrôler ce rêve, détruire sans aucun effort toutes mes défenses, faire ce qu’il voulait de moi. Et même s’il s’agissait d’un rêve, je ressentirais tout ce qu’il me ferait. En théorie, je le désirais et je l’avais laissé prendre certaines libertés par le passé, mais je ne voulais pas faire l’amour avec lui malgré la tentation qu’il incarnait.
Alors pourquoi ne pouvais-je m’empêcher de remarquer combien c’était bon de sentir contre moi son corps, sa chaleur, sa force ? Et pourquoi donc ne pouvais-je m’empêcher de savourer son odeur unique, épicée et musquée ? Quand ses lèvres frôlèrent ma joue, je fis tout mon possible pour garder le visage détourné.
Bon sang, mais c’était quoi mon problème ?
Le souffle de Lugh était comme une bouffée de chaleur, pendant qu’il parcourait mon visage de baisers jusqu’à mon menton, avant de remonter jusqu’à mon oreille qu’il mordilla tout doucement.
— Ton problème, c’est que tu me fais confiance, me murmura-t-il.
Ses mots m’étonnèrent suffisamment pour que je tourne le visage vers lui. Il se recula afin que nos regards se rencontrent, même s’il était toujours allongé sur moi et me tenait encore les poignets.
Je déglutis avec difficulté. Une partie de moi s’efforçait de ne pas croire ce qu’il venait de dire. La confiance n’était vraiment pas mon fort. Je n’accordais la mienne à personne, du moins pas totalement. J’étais toujours aux aguets, craignant les paroles ou les gestes blessants, prête à me défendre. J’avais toujours été ainsi et, même si ça ne me plaisait pas, je ne pouvais rien y changer. J’avais fait des progrès avec Brian. Mais je ne m’étais pas aperçue que je m’étais autant améliorée avec Lugh.
Et, pourtant, c’était le cas.
Quel que soit ce qu’il tramait, je savais avec une certitude troublante qu’il ne me violerait pas, qu’il ne me blesserait pas, malgré le fait que nos peaux étaient nues l’une contre l’autre, qu’il était en position de domination et que mes poignets étaient entravés.
— Espèce de salopard, chuchotai-je.
Il fit courir un doigt sur la joue qu’il venait d’embrasser en souriant légèrement.
— Te parler ne semble jamais suffisant. Mieux vaut te montrer.
— Si tu avais vraiment des couilles, je leur ficherais un coup de genou, l’informai-je.
Il était positionné de telle sorte que la voie était libre pour ce genre de frappe, mais comment peut-on faire du mal à un rêve ?
Il planta un baiser chaste sur mon front, puis il lâcha mes poignets et roula à côté de moi. Le drap le suivit et je laissai échapper un petit couinement de panique en le rattrapant. Soudain, je portais un pyjama en soie d’un bleu nuit qui paraissait presque noir entre les draps écarlates.
Je m’assis lentement en gardant un œil sur Lugh. Il m’avait habillée mais, d’après ce que je voyais, il était encore nu, les hanches couvertes de manière artistique par le drap. J’essayai de ne pas imaginer ce qui se cachait dessous.
La tête de nouveau appuyée sur sa main, il m’adressa un sourire empli de péché et de tentation.
— Tu n’as pas besoin d’imaginer, murmura-t-il. Tout ce que tu as à faire, c’est tirer sur le drap.
Depuis notre première rencontre, Lugh avait tenté de me séduire et il n’avait jamais été très subtil quant à ses intentions. Mais il n’avait jamais été aussi direct. Son étrange comportement me permit de lutter plus facilement contre sa suggestion provocatrice.
— Qu’est-ce qui te prend ce soir ? demandai-je en me concentrant sur son visage. Et pourquoi es-tu resté muet ces derniers temps ?
J’étais certaine qu’il avait décidé d’être silencieux et que ce n’était pas mon subconscient qui l’avait bloqué.
— Brian veut que tu te débarrasses de moi, dit-il. Je voulais te rappeler ce qui allait te manquer si tu prenais cette décision – juste au cas où l’idée commencerait à te sembler attrayante.
La colère, chaude et sucrée, gonfla dans ma poitrine et mes mains se crispèrent en poings serrés. J’étais tellement furieuse que j’étais incapable de prononcer le moindre mot.
Il m’avait infligé cette angoisse et ce malaise juste pour me prouver quelque chose. Quelque chose qu’il aurait pu me faire comprendre tout aussi bien en me faisant savoir qu’il était là, même s’il refusait de me parler.
— Ça n’aurait pas été pareil, dit-il. Si tu avais été sûre que je serais de retour, le silence ne t’aurait pas tracassée. Mais si je prends un nouvel hôte, il est évident que je ne reviendrai pas.
Mes yeux me piquaient et me brûlaient sous la montée des larmes de colère – des larmes que je refusais absolument de verser. Lugh, qui savait exactement ce que je pensais et ce que je ressentais, m’observait avec un air de léger regret.
— Je suis désolé de t’avoir angoissée, dit-il. Mais tu le sais comme moi, te dire les choses fonctionne rarement. Il fallait que tu comprennes combien j’allais te manquer si je n’étais plus là.
Je savais qu’il ne sentirait rien, mais je ne pus m’empêcher de m’éloigner de lui pour lui assener une gifle afin de lui faire ravaler son expression suffisante. Le coup enflamma ma paume, mais Lugh ne grimaça même pas. Évidemment. La joue que je venais de gifler n’était pas réelle. La main avec laquelle je l’avais giflé n’était pas non plus réelle. Seul Lugh pouvait la rendre réelle.
Je serrai ma main contre ma poitrine. Quelque chose de mouillé et de chaud ruissela sur ma joue. Une des larmes que j’avais désespérément tenté de retenir s’était échappée.
Lugh s’assit. Même submergée par la colère et la douleur, je ne pus m’empêcher de jeter un regard vers son corps. Le drap glissa, dénudant une jambe entière jusqu’à la hanche, mais un coin de soie couvrait encore son bas-ventre, comme une feuille de vigne sur une statue.
La tentation que j’avais éprouvée fit empirer ma colère et je me réfugiai à l’autre bout du lit avec l’intention d’en sortir et de partir. Non pas que j’aurais été en mesure d’aller où que ce soit, mais c’est l’intention qui compte, non ?
Lugh ne me laissa pas faire. Sa main se referma sur ma cheville et il tira d’un coup sec pour me ramener vers lui. J’essayai de m’accrocher à une colonne du lit mais, même si j’y étais parvenue, Lugh était bien trop fort pour moi. Je finis étalée à plat ventre. Quand je tentai de nouveau de me relever, Lugh me couvrit de son grand corps puissant pour m’immobiliser. Son érection chaude et dure se nicha entre mes fesses. J’avais encore une fois perdu mon pyjama.
— Descends de là ! hurlai-je en me débattant en vain.
Il approcha sa bouche de mon oreille, sa langue se faufilant dans le pavillon pour me goûter avant de parler.
— Tu ne veux pas te débarrasser de moi, chuchota-t-il. Tu m’aimes bien. Tu me désires, même tes actes le prouvent.
Il agita ses hanches contre mes fesses pour renforcer son propos et mon corps me trahit en frissonnant de plaisir.
J’aurais pu discuter mais vraiment, à quoi bon ? Je ne pouvais que ressentir et Lugh, mon thérapeute privé, excessivement intrusif, comprenait mes émotions.
Les larmes continuaient à couler de mes yeux, imbibant la taie en soie. Je cessai de me débattre.
— Tu n’as pas besoin de faire ça, dis-je d’une voix qui tenait plus du murmure sanglotant. J’ai dit « non » à Brian.
Lugh effleura mon cou de ses lèvres.
— Je sais. Mais pas pour les bonnes raisons.
Sa langue dessina un chemin en travers de mes épaules et je dus me mordre la lèvre inférieure pour ne pas gémir.
J’étais amoureuse de Brian, je n’aurais pas dû désirer Lugh à ce point !
— Je satisfais d’autres besoins que ceux auxquels répond Brian, me murmura Lugh tout contre ma peau.
Ses cheveux chatouillaient mes flancs sans me donner envie de rire.
— Tu peux me désirer et aimer Brian tout à la fois.
Comme j’étais incapable de parler – ma gorge était trop serrée –, je me contentai de secouer violemment la tête. Lugh avait raison, c’était indéniable. Pourtant, je refusais encore d’aller dans son sens. Je croyais fermement en la monogamie et bon sang, je ne comptais pas changer d’avis !
Mais Lugh n’avait pas fini de parler :
— Tout comme je peux désirer Brian et t’aimer en même temps.
Ses paroles me pétrifièrent, venant à bout de ma réticence. Je reposais, passive sous lui, douloureusement consciente de chaque point de contact entre nous, de la chaleur de son corps, de sa position dominante et de mon absence complète de gêne vis-à-vis de cette domination. Je m’efforçais de me convaincre qu’il n’avait pas dit ce que je venais d’entendre.
— Tu m’as bien entendu, insista Lugh en butinant mon dos de baisers.
Plus il descendait le long de ma colonne vertébrale, plus j’étais libre de bouger. Et malgré tout, je ne bronchai pas.
Est-ce que c’était vrai ? Est-ce que Lugh pouvait vraiment m’aimer ? J’avais toujours interprété l’intérêt qu’il me portait comme une simple envie de me baiser, mais ce n’était peut-être que ce que je voulais bien voir.
Les baisers remontaient le long de mon corps, la peau de Lugh caressant sensuellement la mienne tandis qu’il se déplaçait. Mon Dieu, comme c’était bon !
Sa queue se glissa une fois de plus dans le creux de mes fesses pendant que sa bouche retournait à mon oreille et, malgré moi, je me sentis me cambrer sous son corps. Le désir embrumait mon esprit. Serait-ce vraiment mal si je laissais Lugh me faire l’amour ? Ce n’était qu’un rêve, après tout.
— Non, chuchota Lugh. Tu n’es pas encore prête à me laisser te faire l’amour. Tu vas le regretter ensuite et je ne peux pas le permettre.
La vérité contenue dans ses paroles m’atteignit même au travers de la brume du désir et, bien que mon corps soit encore prêt à une furieuse partie de jambes en l’air, mon esprit comprit quelle erreur ce serait.
— Alors tout cela n’était que pure provocation, parvins-je à prononcer.
Je suppose que les démons ne pouvaient pas avoir mal aux couilles de frustration – particulièrement quand leur hôte n’avait pas de couilles –, mais j’étais certaine de ressentir l’équivalent féminin.
Lugh bascula son poids au-dessus de moi.
— Tu crois que je t’infligerais cela ? demanda-t-il en me mettant sur le dos.
Il me sourit. Ses yeux ambre luisaient légèrement de la lumière du démon et ses cheveux formaient un rideau sombre autour de nos visages. Je haletai, le souffle court, la bouche asséchée par le désir. Lugh m’avait déjà fait jouir à l’aide de fantasmes visuels assez vicieux et je me demandai ce qu’il manigançait cette fois encore.
Le feu de ses yeux s’intensifia.
— Pas d’accessoires cette fois, rien que moi, dit-il d’une voix rauque.
Il se pencha lentement en me laissant le temps de détourner la tête si je le voulais. Ce que je ne fis pas. J’en étais incapable. Je désirais trop ce baiser. Notre relation n’était pas chaste à proprement parler mais, en dépit de toute l’énergie sexuelle dans laquelle nous baignions, nous nous étions rarement embrassés. Je ne regrettai pas que cette situation soit sur le point de changer, je n’en avais pas la force.
Dès que ses lèvres entrèrent en contact avec les miennes, j’eus l’impression que mon corps prenait feu. Un gémissement qui n’avait vraiment rien de pudique m’échappa et j’entourai Lugh de mes bras, enfouissant mes mains dans ses superbes cheveux soyeux. Ses lèvres étaient douces et chaudes au contraire de son baiser qui n’avait rien de doux. S’il m’avait embrassée avec plus de fougue, il m’aurait certainement fait mal. Quand sa langue pénétra ma bouche, je gémis de nouveau en appréciant son goût et son contact.
Je crois que j’aurais pu l’embrasser pour toujours, j’aurais pu oublier que le monde extérieur existait, mais il écarta mes jambes de son genou afin de s’installer entre elles. Mon pyjama était réapparu, mais Lugh était toujours nu. Nos chairs n’étaient séparées que par cette fine couche de soie. Il se colla contre moi et je soulevai involontairement mon bassin vers lui.
Même si je crevais d’envie de déchirer mon pyjama pour le sentir en moi, je gardai mes mains enfouies dans ses cheveux pour résister à la tentation tandis qu’il commençait à onduler des hanches, sa queue me caressant énergiquement à travers le fin tissu. Une femme adulte, comme moi, qui avait l’habitude d’avoir des relations sexuelles régulières avec son petit ami n’aurait pas dû être surprise. Mais sentir les assauts de Lugh, sa queue heurtant mon clitoris pile comme il fallait chaque fois, me conduisit au bord de la jouissance en un rien de temps.
Je m’arquai contre lui pressée d’arriver au septième ciel, mais il ralentit la cadence et tempéra ses caresses, me torturant, jouant avec moi, me faisant souffrir tant j’espérais jouir. J’essayai de le faire accélérer mais il n’en fit rien. Et, quand je désertai ses cheveux avec l’intention de me soulager toute seule puisqu’il refusait de coopérer, il me cloua aussitôt les mains au-dessus de la tête. J’aurais voulu protester. Mais c’était difficile avec sa langue au fond de ma gorge.
Il me laissa là, juste à la lisière de l’orgasme, pendant ce qui parut durer une éternité. L’anticipation crispait tous les muscles de mon corps et, de temps à autre, je devais me souvenir de respirer. Pourtant, c’était tellement bon d’être sur le fil en sachant parfaitement qu’il allait finir par me faire basculer de l’autre côté. Ça valait le coup d’attendre. J’en étais presque à désirer que cela ne finisse jamais, ce qui ne m’empêchait pas de me cambrer vers lui.
Juste au moment où je commençais à croire que je ne pourrais pas le supporter plus longtemps, Lugh donna une dernière et vigoureuse poussée, parfaite, et mon corps explosa de plaisir. Je hurlai des paroles incohérentes dans sa bouche, le dos arqué, les orteils recroquevillés. Mon cœur semblait sur le point de s’arracher de ma poitrine.
Il continua à pousser contre moi jusqu’à m’arracher le dernier spasme de plaisir et que je repose complètement inerte et haletante sous lui.
Il me fallut un moment avant d’être capable de former une pensée cohérente. Quand enfin j’y parvins, je pris conscience que même si mon orgasme avait été bon à en mourir, Lugh n’avait pas joui. Je le sentais toujours dur comme la pierre contre moi. J’ouvris les yeux – je ne m’étais même pas rendu compte que je les avais fermés – pour découvrir un sourire satisfait sur son visage plutôt que l’expression frustrée à laquelle je m’étais attendue.
Il se pencha pour m’embrasser brièvement.
— Ton corps est mon corps, me rappela-t-il. Quand tu jouis, moi aussi. J’ai juste décidé de ne pas inclure de manifestation physique de mon orgasme dans ton rêve.
Parfois, ces rêves étaient tellement réalistes que j’en oubliais qu’il s’agissait de rêves. Le corps qui était toujours collé au mien n’était pas réel et, s’il avait une érection, c’était parce qu’il avait choisi de créer cette illusion pour moi.
— En gros, dis-je encore à bout de souffle, pour toi, c’est de la masturbation.
Ses yeux pétillèrent de malice.
— Voilà un autre de ces blocages humains qui ne veulent rien dire pour les démons. De plus, puisque je ressens ton plaisir, je suis encore plus motivé pour faire du bon boulot.
La chaleur qui me monta aux joues me fit comprendre que je rougissais – difficile de croire qu’il restait encore une once de pudibonderie en moi quand on songeait à ce à quoi j’avais été exposée depuis que Lugh était entré dans ma vie, mais c’était comme ça.
Il roula sur le côté et je cédai enfin à la tentation d’examiner avec attention son corps nu, le parcourant du regard des pieds à la tête. Et, je l’admets, je passai plus de temps que je n’aurais dû à inspecter ce qu’il y avait au milieu. Une nouvelle bourrasque de désir balaya mon ventre, mais j’étais encore faible et satisfaite et je doutais d’avoir suffisamment d’énergie pour une nouvelle séance. Au même moment, mes paupières devinrent lourdes et le sommeil m’appela.
— Il est temps de dormir à présent, me dit Lugh.
— Je te rappelle que je dors déjà, murmurai-je sans pouvoir réprimer un bâillement.
Comment peut-on avoir envie de dormir quand on dort déjà ? Ça m’épate.
— Nous parlerons davantage de ce qu’il faut faire avec Brian plus tard, ajouta-t-il comme si je n’avais rien dit.
En fait, il valait mieux que je sois subitement submergée par la fatigue. Sinon ses paroles m’auraient inquiétée. Mes paupières se fermèrent et je sombrai.